C'est moi, Karen Marie Moning et je suis chez Barrons - Bouquins et Bibelots où je vais interviewer Jericho Barrons aujourd'hui.
Je choisis ma place avec soin, sur le canapé Chesterfield que Mac occupe habituellement. Ça me chatouille quand je m'assied là où elle siège habituellement. Il y a une bouteille de vernis à ongle rose sur la table à côté de moi et deux magazines de mode. Le foyer à gaz est allumé. Je me sent comme si Mac venait juste de partir, mais la vérité c'est qu'elle n'a pas été ici depuis un bon moment. Barrons déplace une chaise près de moi et se retrouve si près de mes genoux qu'ils se touchent presque. Si je bouge, ils le feront. Je bataille avec l'envie de bouger. Avant de commencer l'entrevue, je regarde autour de moi et admire la librairie. Je vois les parties de celle-ci qui ne sont pas pleinement réalisées, l'opacité dans certains endroit que je n'ai pas détaillé sur papier. Il me semble que j'aurais pu peindre une fresque murale sur cinq étages, peut être ajouter des chaises. Barrons fait un bruit d'impatience. Je sais ce que ce son signifie. J'ouvre mon ordinateur portable et commence.
KMM : Commençons par la question qui brûle les lèvres de tous : Qu'est-ce que vous êtes, Jericho Barrons?
JZB : Je suis affamé.
Il me lance un regard qui me donne envie de lui faire manger tout ce qu'il veut.
KMM : Ce n'est pas ce que je veux dire et vous le savez.
JZB : J'ai été informé que j'étais "gauchiste". Ça vous aide?
Je refuse de regarder son entrejambe pour voir où est son paquet. Il fait avec moi ce qu'il fait tout le temps à Mac : essayer de distraire et s'évader dans le sexe. Mais je connais chaque erreur de Mac, et je ne suis pas elle. Je vais obtenir des réponses.
KMM : Êtes-vous le Roi Unseelie ? Dis-je avec une timidité feinte.
JZB : Ne pensez-vous pas que je serais capable de toucher mon propre livre si je l'était ? Il semble contrarier.
KMM : Vous répondez à ma question par une autre question, ce n'est pas une réponse, Barrons. Êtes-vous le roi Unseelie, oui ou non? J'insiste.
Il plisse les yeux. Je refuse de me tortiller sur ma chaise. Je suis l'auteur. Je l'ai créé. Je n'ai pas besoin de me tortiller. Comme s'il l'avait lu dans mon esprit, il dit :
JZB : Vous croyez m'avoir créé, non?
KMM : Je vous ais créé, dis-je sèchement.
Peut être y a-t-il un peu de vanité dans ma voix. Si je l'ai crée alors je peux le contrôler, et si je peux contrôler un homme comme Barrons, alors je suis une femme d'enfer.
JZB : Vous ait-il venu à l'esprit que c'est peut être moi qui vous ai créée?
Je reste interdite un moment. J'ai toujours été perturbée par la théorie de Zhuangzi, à savoir que si Chuang Chou était un homme rêvant qu'il était un papillon ou un papillon rêvant qu'il était un homme. Je soupçonne que la réalité est un peu moins tangible, plus inquiétant qu'un écrivain de fiction malléable.
JZB : Ou peut être, il exploite immédiatement mon hésitation, je me ballade devant la fenêtre de votre chambre la nuit, je vous murmure mon histoire et vous laisse croire que c'est une fiction. Permettez-vous de subir l'illusion que vous êtes responsable.
Une lueur de moquerie dans son regard noir et pendant un instant, je suis pétrifiée. Je ne pense plus qu'à ces petites taches d'or dans ses yeux. D'où viennent-elles?
KMM : Je me débarrasse de cette emprise et dit : Remettez-vous en doute vous-même, Barrons. Je vous ai créé.
JZB : Vraiment. Alors, pourquoi, par l'enfer, vous me demandez ce que je suis ? Le Sahara ne pourrait être plus sec que sa voix.
Je le fixe. Pourquoi suis-je? La réponse vient rapidement. Parce que, je pourrais m'en convaincre, et je l'ai longtemps soupçonné, que je n'avais aucun aucun contrôle sur Barrons, et que je n'en aurais jamais. Il partage ses secrets seulement si et quand il en a envie, ce qui n'arrive pas souvent. Pourtant, je suis l'auteur. Je ne sais pas trop ce qu'il est. Je mets mon ordinateur portable de côté et je me lève, hérissée d'irritation et d'indignation.
KMM : Ça y est, Barrons. Vous avez poussé le bouchon trop loin. Je vais tout leur dire, maintenant. Je vais vendre la mèche à tout le monde. Leur donner tous les détails sordides de ce que vous êtes, ce que vous avez fait et ce que vous voulez.
Il se lève aussi. Il tourne autour de moi. Je ne l'ai pas écrit si grand et je le sais. Et je ne l'ai certainement pas décrit aussi attirant. Je lui ai donné des défauts. Où sont-ils? Et où sont passé ses tatouages. Ceux de sont bras gauche ont disparus, et il y a quelque chose de nouveau sur son cou. Est-ce que ça a bougé? Il sourit et je sais que je n'ai pas écrit ce sourire. La mort sourit comme ça.
JZB : Vraiment, dit-il doucement et je frissonne parce que je sais, après tout je l'ai créé, c'est quand Barrons parle doucement qu'il est le plus dangereux. Et le risque que ce soit moi qui vous ai créée, et que si vous deveniez une nuisance je vous tuerai ? Êtes-vous prête à mourir, Mme Moning ? Vous savez ce qui arrive aux indésirables : des personnages ennuyeux. Il touche ma joue. L'électricité grésille sous ma peau. Il glisse son doigt sur ma mâchoire, s'arrête à ma jugulaire. Vous êtes rapidement devenue indésirable.
Je regarde vers lui, consternée de réaliser que je veux être traquée par Jéricho Barrons. Je veux le toucher. Je veux qu'il me touche. Je veux qu'il me regarde avec convoitise. Je suis déconcertée par ça. Comment un personnage de fiction peut-il prendre vie ? Changer sans le consentement de l'auteur ? Dois-je vraiment savoir qui et ce qu'il est ? Est-il possible qu'il est réussi, tout du long, à tromper tout le monde, même son propre créateur ? Les lignes de la réalité deviennent flou autour de moi.
KMM : Moi aussi je veux savoir ce que vous êtes, j'insiste.
JZB : Je m'ennuie maintenant. Où est Mac ?
KMM : Je suis celle qui pose les questions?
JZB : J'ai dit :"Où est Mac ?"
Incroyable. Il utilise la Voix sur moi! Ce salaud utilise la Voix sur moi!
KMM : Au Chester avec Ryodan, je serre les dents, où je l'ai quittée quand je suis venue ici pour vous interroger.
Sa main est tout à coup autour de ma gorge et je ne peux plus respirer. Mes orteils touchent à peine le sol.
JZB : Si elle le baise tu meurs.
Il me lâche et je n'effondre sur le canapé. Dans un mouvement flou et un claquement de porte, Jéricho Barrons est parti.
Finalement, je me recueille. Je ne sais pas pourquoi je me tracasse, mais je m'arrête pour éteindre le feu du poil à gaz en sortant, comme si tout était si réel qu'un retour pourrait brûler ma librairie fictive. Au moment ou je pars, je jette un coup d'oeil, et fait demi-tour.
La fresque est terminée!
Je m'arrête et tourne lentement. Effectivement, là où je voulais qu'elles se trouvent, deux somptueuses chaises en velours rouges.
Je ne les ai pas mises là.
Source : Site KMM