Avec "June", Manon Fargetton propose un roman tout en finesse. Quelque chose de nouveau, de frais, de poétique. Ainsi, le lecteur, suit les aventures de June et son frère Locki. Dans la première partie ils courent de toits en toits, dans la seconde trouvent un refuge dans les nuages, dans la troisième voyagent sur un bateau volant. Comme si l’auteur ne pouvait pas les laisser garder les pieds sur terre. Impossible pour nos jeunes héros de se détacher de l’air, de l’altitude…En même temps qu’eux on prend un peu de hauteur et on glisse légèrement dans un autre genre de roman…
Aussi lorsque Manon m’a remercié pour la chronique de son livre, j’ai été ravie d’échanger avec elle. Et bien sûr j’ai sauté sur l’occasion pour l’inviter à parler d’elle, de "June", de son travail d’auteur. Manon a très aimablement répondu à mon invitation.
Alors en attendant de découvrir le tome 2, en octobre, bienvenue dans le monde de Manon et de "June" :
Audrey : Premièrement je tiens à dire que j’ai eu une très belle surprise lorsque j’ai ouvert ton message. Alors comme ça les jeunes auteurs, toi en l’occurrence, viennent traîner sur les blogs, et lisent ce que pensent leurs lecteurs ?
Manon : Les jeunes auteurs, je ne peux pas parler à leur place, mais moi, oui. Lorsque mon premier roman est sorti, en 2006, la blogosphère était bien moins développée qu'elle ne l'est aujourd'hui. À l'époque, j'ai du attendre trois mois avant de lire une chronique. Pour June, la première chronique était en ligne le lendemain. Et je trouve ça génial !
C'est particulièrement précieux parce qu'il s'agit d'une série et que je suis en train d'écrire la suite. J'ai la chance de voir ce que les lecteurs ont aimé, ce sur quoi ils ont buté, et de connaître leurs attentes. Ça ne veut pas dire que je vais intégrer tout ce qu'ils souhaiteraient lire, ce serait ingérable tant les désirs sont différentes, et le résultat serait complètement indigeste – sans compter que j'en perdrais mon propre fil. Par contre, je peux jouer avec toutes ces envies. Donner à un personnage une partition plus importante que ce que j'imaginais au départ, ou raconter l'histoire d'un autre alors que je ne l'avais pas prévu, par exemple. Mais je ne le fais que lorsqu'en lisant une chronique, l'évidence d'un « ah mais oui, il/elle a carrément raison ! » me traverse l'esprit ! Après, évidemment, je me demande si le personnage en question aurait de lui même pris une place plus importante, sans que je lise telle ou telle chronique... C'est tout à fait possible. Mais peut-être pas. Je ne le saurais jamais.
Et puis, c'est un peu tarte à la crème de dire ça, mais ça n'en est pas moins vrai : les critiques aident à progresser.
J'aime Le Souffle, j'aime l'atmosphère qui se dégage de ce texte, j'ai adoré rêver cet invisible, et j'ai une tendresse infinie pour mes personnages.
Ceci étant dit, ça ne m'empêche pas d'être lucide : Oui, ce livre a des défauts. La plupart des livres en ont. Parce qu'il arrive toujours un moment dans l'écriture où soit l'auteur décide de tout recommencer, encore et encore, quitte à y passer dix ans, et sans même savoir s'il réussira à rendre le texte meilleur ou s'il le gâchera complètement. Soit il va de l'avant. Il accepte de laisser le texte vivre sa vie avec ses imperfections, et il se remet au travail pour le suivant en prenant en compte ses insatisfactions et les critiques qu'il a reçu. C'est ce que j'ai fait, pour plusieurs raisons.
Parce que j'ai un besoin insatiable d'avance.
Parce que j'ai plein de projets dans la tête et de personnages qui me demandent de les écrire, alors je n'ai pas envie de consacrer ma vie à un ou deux. Et aussi parce que je considère l'écriture comme un métier (même si j'en ai un deuxième), et qu'écrire un livre tous les dix ans, soyons réalistes, ça ne me fera pas manger... du moins pas pendant les dix premières années !
Le but du jeu, c'est que le roman suivant soit meilleur !
Maintenant, je ne prends pas non plus tous les retours de lecteurs au pied de la lettre, et parfois, j'ai besoin de m'isoler dans mon cocon loin du bruit du monde. Mais je les lis. Parce que ces mots peuvent être à la fois des moteurs, et des outils précieux pour avancer. Et surtout, parce que vos enthousiasmes entremêlés dans mon petit cœur le font danser de joie !
Dis donc, c'était une longue réponse pour une première question !
Audrey : Raconte-nous ton aventure vers l’écriture ? tu travailles dans le théâtre, comment en es-tu arrivée à trouver une histoire, un éditeur, des lecteurs ?
Manon : Si je reprends les choses chronologiquement, j'ai écrit de manière professionnelle avant d'envisager d'être régisseuse lumière au théâtre. Les deux ne sont pas liés directement, même si bien évidemment, j'y vois aujourd'hui de nombreuses connexions.
Alors l'écriture. Trouver une histoire, je ne sais pas vraiment comment ça se passe. C'est un peu comme trouver le bout d'un fil, et tirer de dessus sans savoir s'il va faire dix centimètres ou dix kilomètres. Moi, le bout de mes fils, ce sont les personnages. Un, d'abord, qui vient frapper à mon crâne ou s'installe discrètement sans bouger jusqu'à ce que je le remarque (Non, je ne suis pas folle ! Du moins pas complètement...). Et puis à un moment donné, sa présence devient si forte, si prégnante, que je me mets à rêver, à imaginer qui il peut être. Il ne me dit rien. Je dois tout deviner. Si ça se trouve, je me plante complètement, et je n'en saurais jamais rien... Mais je ne crois pas. S'il est venu me trouver, ce n'est pas un hasard : c'est que je peux le comprendre.
À mesure que j'apprends à le connaître, d'autres personnages apparaissent, d'autres fils, reliés au premier, que je déroule à leur tour.
Et puis un monde émerge, une réalité qui est la leur et à laquelle je tente de donner une cohérence à partir des fragments de départ.
L'histoire, chez moi, c'est ce qui arrive en dernier. J'ai quelques personnages, j'ai un monde qui commence à ressembler à quelque chose mais qui est loin d'être terminé, et j'essaye d'imaginer ce qui pourrait s'y passer, ce qui pourrait arriver à ces personnages. Jusqu'ici, mes histoires ont découlé du monde, de l'étrangeté du monde, de ce qui le rend particulier.
Il ne faut pas croire que tout vient d'un coup, loin de là. Je comble peu à peu les trous, mais aujourd'hui que j'écris le troisième tome de June, je vois encore sur sa route des fossés qu'il va me falloir remplir pour arriver au bout. Ça ne m'inquiète pas, parce que le monde se tient, je sais qu'il est cohérent, que chaque élément que j'ai ajouté aux précédents est logique, et donc, en me conformant à cette logique, je comblerai le fossé lorsqu'il se présentera. Ces fossés, pour moi, c'est le sel de l'écriture. L'inconnu à découvrir qui me pousse en avant. Ce coin d'ombre qui attend la lumière de mon écran, je ne sais pas ce qu'il cache. Peut être rien. Mais peut-être un coquillage avec la mer dedans, ou une prairie immense, ou même, un personnage qui attendait que je le rencontre et surgit sans prévenir. C'est jouissif. C'est ce que j'aime. C'est pour cela que j'écris, pour ces moment où les mots me surprennent.
En fait, je me rends compte que tout le processus de création qui abouti à l'histoire d'un roman est le développement de rêves éveillés. J'ai toujours été très forte en rêves éveillés. Ça m'a joué des tours parfois, mais j'y prend un plaisir infini, depuis l'enfance. M'allonger sur mon lit, regarder le plafond, et rêver. Et si... et si ce garçon que je trouve tellement génial tournait soudain la tête vers moi au milieu de la cour du lycée et me souriait. Il me regarde. Il me sourit. Je lui souris. Etc... Enfin vous voyez de quoi je parle ! Eh ben écrire un livre, dans mon cas, ça commence un peu comme ça. Sauf que je continue, je recommence, corrige, ajoute, enlève, transforme, encore et encore. Sauf, aussi, que je fais de mon mieux pour partager ce rêve éveillé avec d'autres, et que pour réussir ce transfert, il faut sortir de l'étape du rêve, et commencer à bosser... Un rêve éveillé, ça tient rarement la route en terme de narration !
C'est à partir de là que la question de l'éditeur et des lecteurs se pose.
J'ai un parcours assez atypique, dans le sens où je ne suis jamais passée par la case « envoie de manuscrits à des dizaines d'éditeurs », qui est généralement suivie par l'étape « réception de lettres de refus plus ou moins argumentées », et plus rarement par une réponse positive, mais parfois, quand même, heureusement !
Tout ça, je ne connais pas. J'étais encore au lycée quand j'ai eu l'idée de départ de mon premier roman (« Et si notre métier était déterminé par notre date de naissance ? »). J'ai rencontré lors d'un festival celui qui était à l'époque le directeur de la collection Autres Mondes (Mango), et sans lui parler de mon projet – qui en était à l'époque à peine un, plus proche de la « vague idée sujette à délires entre potes » –, j'ai pris son contact. Je lui ai écrit quelques jours plus tard, et j'y ai été complètement au culot en lui demandant s'il voudrait bien lire ce que j'allais écrire... J'en avais à peine écrit quelques pages. Quand j'y repense, oui, c'était sacrément culotté ! Mais à 16 ans, je ne m'en rendais pas vraiment compte, et c'est peut-être pour cela que ça a marché. Il m'a répondu qu'il serait ravi de lire mon texte. Texte qui n'existait pas, je le rappelle. Je n'avais donc plus vraiment le choix : il fallait que je me mette au boulot ! J'ai commencé à écrire le roman, et je le lui envoyais au fur et à mesure. Lui me retournait mon texte annoté avec des conseils. Au départ, il n'était pas question de publication. Et puis à mesure que le travail avançait, il a décidé de sortir le roman dans la collection qu'il dirigeait, et Aussi libres qu'un rêve a vu le jour.
Quand j'ai eu l'idée de June (« et si un monde invisible se superposait au visible ? »), je suis tout naturellement retournée vers ma maison d'édition et Audrey Petit, qui avait entre temps repris la direction de la collection Autres Mondes, et ils ont accepté le projet.
Voilà pour l'éditeur.
Quand aux lecteurs... pour moi, c'est le grand inconnu. J'en ai rencontré certains, j'ai lu les remarques d'autres, et pourtant, quand un nouveau livre sort, je ne sais pas si le texte va trouver un écho quelque part, ni si les gens vont avoir envie de lire cette histoire-là, de prendre ce livre parmi des milliers d'autres, juste celui là, et le feuilleter, le choisir. La couverture est très importante, et il y a une part de promo de l'éditeur bien sûr, mais elle est souvent très réduite. Que la rencontre se produise entre un texte et un lecteur est une sorte de miracle qui doit beaucoup au hasard, et pas mal aussi au bouche à oreilles...
Audrey : Te mets-tu en condition, as-tu des manies particulières pour écrire ? Moi je te vois bien en haut d’un arbre, avec une musique zen…
Manon : Hahaha ! Il m'arrive de grimper aux arbres, mais rarement pour écrire. Je n'ai pas de rituel spécifique, ou plutôt, il change tout le temps. À une période où j'étais plus sédentaire, je ne pouvais pas écrire sans une bougie allumée et ma tasse de thé. Mais depuis un an que j'ai retrouvé une vie beaucoup plus nomade, le rituel s'est brisé de lui-même.
J'ai généralement besoin de silence. Quand j'écris dans un endroit bruyant, je me coupe du monde avec des musiques très minimalistes, souvent de l'électro sans partie chantée, assez zen, oui. De cette manière, j'ai été amenée à écrire dans des cafés, des gares, des aéroports, des trains, des offices de tourisme où j'attendais un bus, chez des amis, et j'en passe...
De plus en plus, je me rend compte que j'aime avoir de la vie autour de moi quand j'écris, tout en m'isolant du bruit, parce que le son est très intrusif et me déconcentre.
Bref, je m'adapte !
Mais mon spot d'écriture préféré reste mon lit... qui est d'ailleurs une mezzanine, encore un endroit perché !
Audrey : Comme je le disais plus haut, les héros sont dans les airs, d’un bout à l’autre de l’histoire. On ne s’en aperçoit finalement qu’en refermant le livre. Je me suis dit que cette lecture nous donnait un bon coup de vertige. Parle-nous de cette dimension aérienne que revêt le roman.
Manon : C'est marrant, je n'en m'en étais pas rendue compte aussi clairement avant que tu me poses la question. C'est vrai que mes personnages se retrouvent souvent en hauteur, même si dans la troisième partie du roman, June a aussi un lien très fort avec la terre.
...Terre représentée par une montagne, donc encore un sommet...
Okay, okay, j'me rends, tu as complètement raison !
En fait, l'explication est assez simple : les dons de June sont liés à l'air. Et l'air, ben, le plus souvent... il est en l'air !
Cette sensation de vertige très concrète renvoie aussi à un autre vertige qui saisit June, plus intime : celui de découvrir qu'elle ne connaît pas un millième du monde dans lequel elle vit, et que cet invisible qu'elle découvre rend le monde plus vaste encore que ce ses yeux lui donnaient à voir.
Audrey : June ça fait assez anglo-saxon, Locki on pense tous au méchant frère de Thor et à son loup… Comment as-tu choisi ces prénoms ?
Manon : Pour les prénoms des personnages principaux, c'est d'abord une question de sonorité. C'est peut-être dû à ma formation de musicienne... Je suis persuadée que chacun d'entre nous, à force d'être appelé depuis l'enfance par le même mot, est influencé par la manière dont ce mot claque, caresse, ou coule, et par ce qu'il évoque.
Ainsi « June », prononcé à l'anglo-saxonne, a quelque chose de dynamique, avec ce « d'J » du début, et en même temps de rêveur, de réfléchi, avec le « une » qui s'allonge sous le palais.
Locki, au tout départ, s'appelait Loki, exactement comme le frère de Thor, en effet. Très honnêtement, la référence a d'abord été fortuite. Je connaissais l'existence du dieu nordique, mais je n'en savais pas grand chose. Le prénom s'est pourtant imposé, encore une fois pour sa sonorité, son côté tranchant et joueur, réservé et retors. C'est à partir de là que j'ai été faire des recherches sur le dieu. Et ce que j'ai trouvé collait tellement à la manière dont j'imaginais Locki évoluer au cours de l'aventure, que j'ai cessé de me poser des questions.
Il n'y a pas de hasard dans les noms. Lorsqu'ils s'imposent ainsi, c'est qu'ils ont un sens. Pour rendre ce monde cohérent, j'avais besoin que les prénoms de chaque zone géographique aient la même origine. Comme j'avais déjà le prénom June, j'ai décidé que les prénoms des habitants de La Ville seraient plutôt anglo-saxons. (Benedict, Gwen, etc...). C'est pour aller dans ce sens que j'ai modifié l’orthographe de Loki en Locki, pour le rapprocher du prénom Locke, et l'éloigner un peu du dieu nordique.
Dans le même ordre d'idée, les habitants de l'île du Nord ont des prénoms islandais. Les Veilleurs et les Gardiens, eux, viennent d'un peu partout, leurs noms sont donc très variés. Et dans la ville où se déroule l'essentiel du deuxième tome, les prénoms sonnent anciens et sont d'inspiration moyenâgeuse.
Audrey : Les Sylphes, les Oldariss, les Sources, les Veilleurs, les Gardiens, comment as-tu battis cette mythologie ?
Manon : L'impulsion de départ, celle qui a engendré tout l'univers de June, c'était l'envie de parler de la disparition d'un peuple. J'ai eu l'image d'une créature allongée sur la branche d'un arbre, en train de mourir. Elle sait qu'elle est la dernière de son espèce, elle sait qu'elle va disparaître dans les minutes qui suivent, et pourtant il lui reste un espoir, l'espoir immense de voir un jour son peuple être rappelé sur ces terres. Cette scène constituait le premier d'une série de « rêves éveillés » dont je parlais plus haut, et elle est devenue la toute première séquence de June. Quand à cette créature allongée sur sa branche, eh bien, elle est devenue une sylphide, un peu malgré moi.. Là encore, miracle du cerveau qui sait des choses sans que j'en sois consciente : quand j'ai imaginé cette créature, dans ma tête, je l'avais appelée « Syphle », et je croyais la créer de toutes pièces. Et puis je me suis calée derrière mon ordinateur. J'ai commencé à fouiller la toile, et au hasard de mes recherches, je suis tombée sur les Sylphes, qui étaient si proches de mes créatures, à la fois par leur nom et par leurs caractéristiques, que j'ai décidé de les adopter !
J'avais établi que l'invisible était régi par deux forces opposées et complémentaires : les sylphes était porteurs de l'harmonie, il me fallait créer les gardiens du chaos.
Là encore, les sonorités ont été déterminantes dans le choix du nom. Oldariss. « O », parce que leur forme est mouvante, indéchiffrable, et c'est ce que m'évoque cette lettre. « lda », parce que ça claque sous la langue, pour l'étrangeté de ce son, et sa douceur de bulle qui éclate. « riss », parce que ce son traînant est inquiétant et évoque la traîne de brume sombre qui suit les créatures.
Les Sources... hum, je suppose que de m'entendre appelée « Manon des Sources » pendant des années, ça laisse des traces ! J'ai imaginé les Sources lorsque j'en étais au stade de « l'histoire », pour créer un but à June, une quête. Chacune des trois Sources correspond à une réalité spécifique : la première Source est celle de la terre, la deuxième, celle des hommes, et la troisième, celle de l'invisible. Combinées, elle régulent l'équilibre entre l'harmonie et le chaos... même si vous découvrirez à la fin du deuxième tome que c'est un peu plus compliqué que cela... !
Les Veilleurs, et leur intermédiaires auprès des hommes, les Gardiens, sont arrivés très tôt dans la construction du monde, très exactement au cours du même rêve éveillé qui a donné naissance au prologue de June : j'ai tout de suite su que quelqu'un était en train d'observer cette scène, celle où la sylphide mourante sur sa branche transmet ses pouvoir à une petite fille qui passe par là et se trouve être June. Et je savais aussi que ce spectateur n'était pas présent physiquement, il la regardait de très très loin.
En écrivant ces mots, je me rends compte que ce quelqu'un, c'était probablement moi, auteur, en train d'observer la naissance de mon livre. Mais dans mon esprit, c'est devenu un personnage. Alors sont venus les questions. Qui est-il ? Comment a été créé l'ordre des Veilleurs ? Quel est leur but, leur mission ? Pourquoi ce Veilleur en particulier s'intéresse-t-il à la mort de cette sylphide ?
Les questions sont infinis, et les réponses peuvent l'être aussi. Il faut faire des choix, déterminer laquelle sert le mieux le roman, laquelle sera la plus intéressante pour l'histoire.
Les Veilleurs sont donc devenus ces hommes à la vie plus longue que le commun des mortels, détenteurs de savoirs millénaires qu'ils ont hérités de peuples disparus. ils veillent sur les hommes pour que ceux cis retrouvent leurs connaissances et leur grandeur passée, celles d'avant la disparition des anciens peuples.
Encore une fois, le monde ne se construit pas d'un coup, mais en puzzle. L'essentiel étant de trouver la logique qui relie tout ça pour que l'ensemble soit cohérent.
Audrey : Quelles ont été tes sources d’inspiration, en littérature jeunesse ou autre ?
Manon : Pfiou, il y en a un paquet ! Il y a les bouquins que j'ai lus et relus étant enfant et ado, je vais en livrer une liste non exhaustive, parce que ça prendrait encore trois pages : les romans de Danielle Martinigole, La trilogie de Phillip Pullman (qui a fait de moi une chasseuse d'aurores boréales à mes heures perdues !), les romans de Christian Grenier, Le prince d'ébène de Michel Honaker, mais aussi Erik l'Homme et Pierre Bottero que j'ai découvert un peu plus tard.
En fantasy « adulte », incontestablement Raymond E. Feist, et tout particulièrement la Trilogie de l'Empire. Dune (Herbert) aussi, que je ne me lasse pas de relire.
En littérature « blanche », je pourrais citer les romans de Laurent Mauvignier dont l'écriture me retourne le ventre, les pièces de Sarah Kane, Antigone de Brecht, les textes d'Henry Bauchau (son Œdipe sur la route a été une claque magistrale), la série Malaussène de Daniel Pennac, Leur Histoire de Dominique Mainard, tout les textes de Jack London qui parlent du grand Nord...
Mais je crois que ce qui m'influence le plus, ce sont ces albums qui ont bercé mon enfance et forgé mon imaginaire. Je pense à ceux de Claude Ponti bien sûr (ma mère continue de m'en offrir à chaque anniversaire !), et d'autre en vrac : le luthier de Venise de Claude Clément, le boréal express de Chris Van Allsburg, Port-Minou d'Antonia Barber et Nicola Bayley (et son grand chat-tempête !), L'épave du Zéphyre du même Chris Van Allsburg (et ses bateaux volants !)... j'en passe, et de sublimes. Je ne cite là que les plus évidents, ceux qui sont liés à l'univers de June.
Et puis il y a les films aussi, et les séries, et les chansons, et les BD... Mais là je ne vais pas détailler, parce qu'on en aurait encore pour deux heures et qu'il paraît que j'ai un troisième tome à écrire !
Audrey : Vers quel genre penche plutôt ton roman ? On y voit un brin de dystopie, pas mal de fantasy, beaucoup d’écologie… et une masse de poésie…
Manon : Hum. Il y a un peu de tout ça, il y a un peu de tous ces livres que j'ai cités, il y a un peu de tous les films que j'ai vus, il y a un peu des personnes que j'ai rencontrés, il y a un peu de ce que j'ai vécu. Alors classer tout ça dans un genre, le réduire à une case ou un rayon, c'est effectivement compliqué. Pour moi, j'ai écrit de la fantasy, même s'il y a des éléments de science fiction et de merveilleux...
Audrey : Je tiens à souligner que la couverture correspond formidablement au contenu du roman, ce n’est pas souvent le cas. De plus, j’ai lu sur d’autres blogs, et je suis bien d’accord, que les lecteurs la trouvaient très belle. Comment s’est fait le travail avec l’illustrateur ?
Manon : La maison d'édition n'a pas fait appel à un illustrateur extérieur comme c'est parfois le cas, mais a choisi de travailler en interne, avec une maquettiste de Mango. Je n'ai jamais travaillé directement avec elle. Par contre, il y a eu beaucoup d'échanges avec les éditrices à propos de cette couverture, et après plusieurs essais, on a fini par aboutir à celle-ci, qui, je suis d'accord, correspond bien à ce qui se trouve à l'intérieur. C'était ce qui m'importait.
Audrey : Dans ma chronique de June, je reprochais la seconde partie trop lente à mon goût, où le lecteur, tout comme June s’impatiente de voir les pouvoirs éclore, de voir démarrer l’aventure. Tu m’as répondu que toi aussi tu avais eu du mal avec l’écriture de ce passage… Explique-nous ?
Manon : Je n'ai pas eu du mal à l'écrire, dans le sens ou l'écriture n'a pas été pénible. Mais je n'en suis pas complètement satisfaite.
Comme je te l'ai écrit, je n'avais pas envie que June découvre qu'elle a des pouvoirs, et que pouf ! d'un coup, elle sache s'en servir... c'est le genre de facilité qui m'agace quand je la trouve dans des romans. Pendant l'écriture, j'avais hâte de passer à la suite. Et en même temps je me sentais bien, assise dans les branches de l'arbre-bibliothèque ou plongée dans les difficultés de June. C'était étrange.
Je vais oser une comparaison qui n'a peut-être de sens que pour moi, mais tant pis : cette deuxième partie, c'est un peu comme l'adolescence.
Je ne sais pas si vous avez été, ou êtes encore, ainsi, mais quand j'étais adolescente, j'étais persuadée que le jour de mes dix-huit ans, tout allais être plus simple : plus de parents sur mon dos, une nouvelle ville, de nouvelles rencontres, je serais libre de faire ce que je veux sans rendre de comptes... bref, j'allais enfin pouvoir vivre !
C'était bien sûr une illusion, parce que 1- je vivais déjà, 2- les choses ne changent pas tant que ça : les parents sont toujours là (et heureusement, parce que parfois, ça fait du bien), une autre ville, ça reste une ville, et on continue à rendre des comptes, même si ce n'est plus aux mêmes personnes. Bien sûr, beaucoup de choses changent, mais au fond de moi, ça n'a pas été la rupture que j'attendais. Et si on est adulte aux yeux de la loi, il reste pas mal de chemin à faire avant de trouver sa liberté.
Mais cet espoir de changement, tout illusoire qu'il soit, il aide à tenir dans cette période merdique ou tout devient compliqué.
Pourquoi est-ce que je raconte tout ça ? Parce que dans la première partie du roman, June vit dans une sorte d'insouciance enfantine. Par contre, dans la deuxième partie, elle plonge dans la frustration adolescente. Elle rêve de maîtriser le Souffle, et le temps lui semble infiniment long, exactement comme lorsqu'on a 15 ans et qu'on rêve d'en avoir 18. Il faut dire que June a beaucoup de chose a comprendre : comment fonctionne Le Souffle, quelle est la nature de l'invisible, mais aussi quelle est sa quête et comment l'accomplir... boucler tout ça en trois scènes, ç'aurait été à la fois indigeste et peu crédible !
Donc oui, cette partie peut sembler longue, et je n'en suis pas entièrement satisfaite parce que je n'ai pas réussi à trouver le petit truc en plus qui fait que le rythme est là et que les pages se tournent toutes seules. C'est tout à fait ce dont je parlais en répondant à ta première question : je n'ai pas complètement réussi sur ce point, donc ça me donne une gnaque incroyable pour que ça dépote dans la suite !
D'ailleurs, en parlant de la suite... !
Audrey : Tu m’as aussi avoué que dans le tome 2, il y aurait plus d’actions, alors, des infos pour nous faire patienter jusqu’en octobre ?
Manon : Plus d'action, oui, car on entre dans une autre phase dans les aventures de June : elle se trouve directement en prise avec le chaos !
Difficile de donner plus d'infos que ce que j'ai déjà pu dire sans spoiler. Alors je vais rassembler là les éléments que semés à droite à gauche :
Autant Le Souffle avait un côté apaisant et lumineux, autant Le Choix est sombre et, hum, je ne crois vraiment pas que le maître-mot de votre lecture sera « apaisant », cette fois-ci ! Il y a des oasis de poésie et de jubilation par moment. Mais ils sont cernés d'ombres.
Autre chose : un nouveau point de vue apparaît, en contrepoint des voix de June et du Veilleur de Lumière. Enfin, en étant très rigoureux, on pourrait même dire qu'il y a deux nouveaux points de vue...
Voilà voilà...;-)
Audrey : Combien de tomes va comporter June ? As-tu déjà tout écrit, ou au moins une idée de l’ensemble ? Parle-nous de la série dans son ensemble.
Manon : Trois ! Le Choix est bouclé depuis juillet, et je suis en train d'écrire le troisième tome, intitulé L'invisible (breaking news!). J'avais une idée de l'ensemble dès le départ, la structure en trois parties s'étant imposée d'emblée, puisque June doit réactiver trois Sources. Mais en réalité, je vois June comme un long roman en neuf ou dix parties, car à partir du moment où June quitte le Port de la Lune jusqu'à la fin du troisième tome, tout s'enchaîne presque sans ellipses. Du coup, j'ai juste l'impression de continuer à écrire le même livre, sans pouvoir retoucher au début !
Audrey : Pour quelles raisons t’être penchée vers la littérature jeunesse ?
Manon : Quand j'ai commencé à écrire Aussi libres qu'un rêve, j'avais 16 ans. Je ne me suis pas vraiment posé de questions : j'ai créer des héros qui avaient mon âge, et ce roman est tout naturellement venu se classer en jeunesse.
Ensuite, j'ai rencontré mes lecteurs.
Et comment dire...
*séquence émotion on*
Ben j'ai envie de leur lancer un immense merci, à tous ces lecteurs que j'ai rencontrés depuis 2006. Parce que c'est grâce à leur enthousiasme que j'ai persévéré dans des moments compliqués où, si mon besoin d'écrire restait une évidence, je ne voulais plus publier. Ce sont ces rencontres qui m'y ont ramenée, qui m'ont poussée à considérer l'écriture comme un métier, qui m'ont redonné envie, faim de nouveaux romans, faim de les partager, faim d'aller vers de nouveaux lecteurs et de faire de nouvelles rencontres.
Et ce merci, je peux le dire, ici ou ailleurs, mais je ne sais pas s'ils l'entendront. Alors je leur envoie des romans, en espérant qu'ils les trouvent et les aiment autant que le premier.
Les jeunes lecteurs ont cette fraîcheur incroyable de détester ou d'aimer de tout leur cœur. Et surtout, ils n'ont pas peur de le dire. C'est précieux. C'est addictif. J'espère ne jamais avoir à m'en passer.
*séquence émotion off*
Maintenant, je n'exclus pas d'écrire pour « adultes », loin de là. Mais je pense que je reviendrais toujours aux romans jeunesses.
Audrey : As-tu d’autres projets d’écriture dans l’immédiat, ou préfères-tu que June soit bouclé pour te pencher sur autre chose?
Manon : Pas mal de projets en fait. Un one shot jeunesse, un cycle de fantasy... mais tout cela n'en est encore qu'aux prémices, et ma priorité est d'écrire le troisième tome de June qui doit sortir au printemps 2013 !
Audrey : Que lis-tu en ce moment, quel est ton dernier coup de cœur ?
Manon : J'ai refermé hier le quatrième tome de A comme Association (Pierre Bottero / Erik l'homme), et j'en ai encore la gorge serrée. Cette série est bien au delà du coup de cœur, pour tout un tas de raisons, et ceux qui l'ont lu les connaissent.
Un grand merci à Manon qui s'est pliée au jeu des questions, et nous a offert de très belles et longues réponses!
on a la quantité et la qualité en même temps!